Ce que les villes nous apprennent sur la continuité éducative au temps du Covid-19

A travers le monde, les villes jouent un rôle central dans la lutte contre la crise consécutive à la pandémie du COVID-19, notamment dans le domaine de l’éducation. Deux expertes de l’IIPE/UNESCO reviennent sur l’expérience des villes françaises à cet égard, partenaires indispensables de l’Etat pour préserver la continuité éducative en ce temps de crise. 

Crédit : IIPE-UNESCO

Crise sanitaire, crise éducative, crise économique et sociale. Crise internationale, crise nationale, crise locale. La pandémie de COVID-19 et la fermeture des écoles à travers le monde, affectant plus de 1,5 milliards d’apprenants, a exigé la réponse urgente et coordonnée des décideurs à tous les niveaux. 

Parce que cette crise affecte directement leurs territoires, de façon multisectorielle, les villes et leurs élus sont en première ligne pour apporter une réponse contextualisée à l’impact du virus. Alors que les enfants, parents, et écoles sont affectés distinctement selon leurs caractéristiques, les villes sont aujourd’hui les partenaires clés de l’Etat pour préserver l’accès à une éducation de qualité pour tous sur leur territoire. 

Les réseaux d’échange entre villes, aussi bien à l’échelle internationale que nationale, sont à l’heure actuelle des plateformes précieuses pour permettre le partage d’expérience, l’identification de solutions innovantes, et éviter l’isolement. Cet article revient sur l’expérience française, notamment sur la base du dialogue entretenu par l’ANDEV dans ce contexte inédit, et des entretiens conduits avec des directeurs de l’éducation des villes, dans le cadre de la recherche ‘Villes et Education 2030’ de l’Institut international de planification de l’éducation (IIPE) de l’UNESCO. 

Que font les villes en faveur de la continuité éducative?

Fermeture des écoles et continuité pédagogique ont impliqué en France une collaboration renforcée, au quotidien, des services de l’Education nationale sur le terrain (Directions Académiques, Inspections, directions d’école) et des services municipaux dédiés à l’éducation, dans le respect du champ de compétences de chacun. Les villes organisent l’accueil des enfants des personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire sur le temps scolaire avec les enseignants. Il en va de même sur les temps péri et extrascolaires dont elles sont en charge, y compris dans certains cas la nuit et les week-ends, reposant à cet égard sur la mobilisation volontaire de leurs équipes d’animation éducatives. 


Face au risque d’augmentation des disparités scolaires, les villes multiplient également les stratégies pour atteindre les enfants les plus démunis et lutter contre l’exclusion. Première étape : le recensement des élèves scolarisés, mené en collaboration avec l’Education nationale, et la mise à jour de leurs contacts. Malgré cette démarche indispensable, de nombreux élèves demeurent toutefois injoignables, un chiffre qui s’élève de 5 à 8% selon le ministre de l’Education nationale, mais estimé plus important selon les territoires. 


Pour les familles les plus démunies, la priorité dans ce contexte est en effet avant tout de gérer le quotidien et répondre aux besoins fondamentaux de sécurité matérielle et alimentaire; la continuité scolaire devient secondaire. L’enjeu des mairies est alors d’agir sur ces situations d’urgence sociale, en collaboration avec leurs partenaires territoriaux et associatifs, en complémentarité de leurs actions pour répondre à l’urgence éducative. 

‘L’urgence est d’accompagner les familles les plus fragiles dans une réponse concrète à leurs besoins fondamentaux de sécurité.’ (Tribune de l’ANDEV)​

Dans les contextes où la cantine scolaire constitue l’une des seules opportunités de repas pour l’enfant, des repas sont délivrés aux familles avec l’appui du milieu associatif, ou bien des bons alimentaires leurs sont proposés. Les services municipaux pour l’éducation agissent également pour la protection de l’enfance, le confinement aggravant les risques de violences familiales, notamment dans le cas de familles nombreuses vivant dans des petits logements ou des squats.   


La crise a par ailleurs mis en évidence la fracture numérique sur leurs territoires, tant au niveau de l’accès aux ressources numériques que de la capacité des familles à savoir les utiliser. Plusieurs villes ont mis à disposition des familles défavorisées du matériel informatique, puisant dans certains cas dans leur propre matériel de bureau. Elles ont même tâché dans certains cas de négocier avec des opérateurs privés des offres de connectivité préférentielles. En partenariat avec l’Education nationale et La Poste, les cours et devoirs des élèves sans accès aux ressources numériques sont photocopiés et transmis aux familles lors de points de rencontre organisés dans les écoles. 


La situation de certains publics spécifiques sur leur territoire tels que les enfants issus des familles allophones ou les enfants en situation de handicap s’est également complexifiée, avec la difficulté de maintenir les dispositifs éducatifs préexistants. Si la prise en charge de ces publics relève d’autres acteurs territoriaux et associatifs spécialisés, en collaboration avec l’Education nationale, les villes jouent un rôle central dans la coordination et la communication entre acteurs, ainsi qu’avec les familles. Certaines collectivités, comme la ville d’Orvault, veillent en outre à entretenir un contact téléphonique avec les familles des enfants en situation de handicap, afin de les soutenir psychologiquement. 

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Crédit : IIPE-UNESCO

Coordonner une action multisectorielle sur le territoire

La collaboration intersectorielle, sous-jacente aux stratégies de développement des villes, est d’autant plus essentielle en cette période de crise. Les services municipaux dédiés à l’éducation se coordonnent avec les autres secteurs de la ville tels que la culture, l’action sociale, la jeunesse ou le sport pour continuer à offrir une éducation hors-les-murs aux enfants et jeunes de leur territoire. L’offre culturelle et des médiathèques donne ainsi accès en ligne à certaines ressources documentaires ou spectacles. A Ivry-sur-Seine, la médiathèque prend rendez-vous téléphonique avec les familles en difficulté, identifiées grâce aux maisons de quartier, pour lire une histoire à leurs enfants à l’heure du goûter. 

Réciproquement, le personnel municipal éducatif appuie, sur la base du volontariat, les secteurs en besoin dans le contexte de la crise. Dans plusieurs villes, des agents de cantine et d’entretien des écoles interviennent ainsi dans les Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (Ehpad) ainsi que dans les centres hospitaliers. 

La mobilisation, et la coordination, des différents acteurs agissant sur leur territoire est cruciale en cette période. Elle est rendue possible grâce au rôle pivot joué par la ville, d’autant plus renforcé par la crise. L’existence et la qualité des mécanismes de coordination préexistants conditionnent la réponse éducative locale donnée à la crise. 

‘La ville est à l’interaction du champ social, médical et éducatif. Elle est l’échelon pertinent pour la coordination territoriale.’ (Rozenn Merrien, Présidente de l’ANDEV et Directrice de l’Enfance pour la Ville de Saint-Denis, Seine-Saint-Denis) ​

Flexibilité et agilité des stratégies éducatives des villes

Partenaires clés de l’Etat en période de confinement, les collectivités territoriales le sont aussi pendant le déconfinement. Tout en poursuivant les actions déployées pour préserver leur stratégie de développement global et éducatif, les villes mettent en œuvre la sortie de crise et accompagnent chaque citoyen, adultes et enfants, dans cette démarche. ‘La reprise de l’école ne fonctionnera qu’à partir du moment où l’on se coordonnera : cela crée une obligation de réussite partagée’, souligne Rozenn Merrien. Cette nouvelle étape pose de nouveaux enjeux de réactivité, d’agilité, de collaboration et d’innovation, autant d’atouts qui caractérisent déjà les villes du fait de leur position de partenaires de l’Etat et des relations quotidiennes avec les citoyens de leurs territoires. 

‘Une fois prise la décision d’ouvrir les écoles, on ne pourra pas travailler chacun dans son coin et il y aura donc une nécessité de mise en œuvre concertée : services de l’État, collectivités, services de santé, avec bien sûr [une collaboration] indispensable entre les inspecteurs de l’Éducation nationale, les directeurs d’écoles et les services éducation des collectivités’ (Thierry Vasse, Directeur général adjoint d’Orvault et Vice-président de l’ANDEV) 

La crise éducative liée à la pandémie de COVID-19 met en lumière la flexibilité des stratégies éducatives des villes, élément clé de leur planification à court, moyen et long-terme. Les planificateurs de l’éducation ont donc beaucoup à apprendre de l’expérience des villes à cet égard. 


Candy Lugaz et Chloé Chimier, Coordinatrices de la recherche ‘Villes & Education 2030’ à l’IIPE/UNESCO 


Depuis 2019, le programme de recherche ‘Villes & Education 2030’ de l’IIPE/UNESCO examine le rôle croissant des villes dans la planification et la gestion de l’éducation.



 

 





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